• J-6

     

    Mon réveil sonne. Je me lève, m’habille, sautille, enfile mes chaussettes ; me prépare à partir. Je sors, il fait si froid dehors…

    La journée commence comme une autre, je frissonne, je respire ; mon sac sur l’épaule droite, la tête pleine de la musique qui résonne dans mes oreilles, j’avance vers le lycée.

    Je me presse, et puis, me voilà devant la grande grille qui aurait dû être ouverte.

    La réalité me revient en pleine face.

    Bam, tombée à terre ; bam, des dizaines d’années évaporées.

    Vous y croyez, vous, la fin du monde dans six jours ?

     

    Je reste plantée là, quoi faire ?

    Alors, je pousse la grille et entre.

    J’erre dans le lycée, moi qui rêvais de le quitter, voilà que je m’accroche à ses murs pleins de souvenirs…

    Ah liberté…

    Un pas, les questions fourmillent, deux, ici Jade a taggué le casier de Jeff pour lui déclarer sa flamme, trois pas, et là, j’ai fait une bataille de pain avec Simon et Evan, ici, je me rangeais avant d’aller en maths, quatre pas, stop, il faut que j’m’arrête.

    Stop, stop, stop, stop !!

    Respire, Aela.

    Te laisses pas étouffer par les souvenirs, les laisses pas t’bouffer, laisses pas la vague s’élever, retomber d’un coup et te noyer, alors fais plus un pas.

    Comment aurais-je un jour imaginé que parler au passé de choses banales pourraiy me fendre le cœur au point de dire stop avant de saturer ??

     

    Je cours, je cours je cours je cours.

    Mon sac est resté là-bas, sur le sol du couloir.

    Au milieu d’un monde qui n’a plus de sens.

    Tchac tchac tchac.

    Je démêle mes écouteurs en courant, les mets sur me oreilles, me fixe sur la voix d’Kurt Cobain et mon souffle en hiver.

    Courir pour oublier ; courir pour fuir.

    Mais comment ne pas en vouloir au monde entier ?

     

    Pourquoi ?

    Un trou et je m’étale.

    Voilà, c’est toujours la même histoire ; au moment où mes ailes s’apprêtent à me porter, où je quitte le sol et respire l’air pur des nuages, il y a toujours une flèche pour m’atteindre en plein cœur.

    Je manque de fondre en larmes, mais décide de rester forte et me relève.

    Je tourne la tête à droite, à gauche et me rend compte que mes pieds m’ont menée dans un parc, et je m’assois là, dans l’herbe, pleine de sueur et épuisée.

     

    Mon ventre gargouille et je me réveille.

    Deux petits yeux noirs m’observent…

    Je m’y plonge comme dans un gouffre, profond, nage ; deux yeux qui rient de moi et ma détresse.

    Deux prunelles qui me disent, quelle importance ?? T’as toujours su que la mort arriverait n’importe quand, alors ça change quoi d’connaître le jour d’la sentence.

    Et pendant, que résonne les accords de guitare, un déclic se fait en moi.

    D’accord.

    D’accord, j’vais mourir ; mais vous m’aurez pas !

    Nan, j’me laisserai pas avoir.

    Et je salue le chat qui vient de m’offrir de finir ma vie dans un feu d’artifice.

     

    Alors, je rentre chez moi, fais mes valises, prépare mon vélo, prépare le repas ; salue le monde, salue mon passé.

    Hors de question de l’effacer, d’l’oublier, juste rendre un dernier hommage à la p’tite fille que j’ai été, réaliser mon rêve.

    Mes parents ne rentreront pas ce soir, je crois…

    Je rejoins mon grand frère parti se coucher, m’allonge pendant qu’il respire, dans les bras de Morphée, le monde m’ouvre ses bras, me voici apaisée…

    Et je rêve de ces deux yeux noirs qui m’ont libérée.

     

    Maéli.

     


    votre commentaire
  • J-7.

    On vit avec des certitudes que rien ne pourrait bouleverser.

    Chaque matin, on se lève, on part travailler ; mais il y a des choses qui ne sauraient changer.

    Personne ne pourrait les mettre en cause.

    Elles sont comme le temps qui court et que rien n'arrête, comme les gens qui naissent et meurent peu importe si nous, nous disparaissons ; elles sont inébranlables.

    La Terre est ronde et tourne autour du Soleil, le Soleil brille dans notre ciel et n'est pas près de disparaître, et ce n'est pas demain que la Terre explosera.

    Qui pourrait contredire ces faits scientifiques ?

     

    Dans ma tête, la mort ça a toujours été un truc flou. Une histoire dramatique, qui n'arrive qu'aux autres, qui nous transperce le cœur ; mais, moi et la mort on a toujours été séparées par une sorte de vitre en verre. Un vitre qui veut juste dire que c'est pas réel.

    Expliquez-moi comment peut-on disparaître de ce monde en moins d'une seconde ?

    Je n'aurai jamais deviné que dix minutes auraient pu me faire changer d'avis si vite.

    Après tout la vie est faite de pleines de surprises et, oh mon Dieu, qu'elle est si courte...

    Le problème, c'est que je n'ai jamais su à quel point.

    Jusqu'à aujourd'hui.

    J'aurais dû savourer ces dernières secondes...

    Aujourd'hui, je me sens stupide.

    Mais peu importe, non ?

     

    Nous sommes entrés, nous sommes assis, huit heures dix, nous sommes réjouis de ce temps perdu, avons sorti nos affaires et attendu. Attendu, attendu, attendu.

    Et il est entré comme un boulet de canon.

    Notre bon vieux prof d'histoire essoufflé, les épaules baissées, le pas devenu lourd. Mais que s'était-il passé ? Il est monté sur l'estrade, s'est retourné.

    Il nous a regardés, les yeux pleins de pitié, a inspiré, pourquoi avait-ce l'air si dur de prendre la parole ?

    Je crois qu'il nous demandait pardon pour ce qu'il allait nous annoncer.

    Le silence s'est fait et il a fixé un point derrière nous, loin de tout ça, de toute cette histoire ; loin de ce qui l'accable et qu'il s'apprêtait à poser sur nos épaules.

    Il a lâché trois mots :

    -C'est la fin.

    Une enclume est descendue du ciel pour se figer dans mon ventre.

    Il a voulu reprendre contenance, nous expliquer, comme il le fait si bien, avec des adverbes et des figures de styles qui le font paraître fort et poète, mais il s'est mis à trembler comme une feuille.

    Il s'est assis sur l'estrade, a caché son visage dans ses mains ; nous laissant, le temps de secondes s'étirant, sentir nos cœurs battre à toute vitesse.

    Il s'est relevé, a planté son regard dans celui de Brice, un gars gentil, mais bizarre, brun, qui le regardait comme s'il le suppliait de se taire. Mais notre prof d'histoire a détourné les yeux murmurant "pardon" et nous a raconté.

    -Dans sept jours, une planète naine va heurter le Soleil a une vitesse phénoménale.

    J'aurais soupiré de soulagement, s'il ne nous avait pas expliqué ce que cela implique.

    La naine va transpercer le soleil et continuer en direction de la Terre. La collision sera inévitable. Il a même précisé qu'on ignore si la planète naine baptisée Apoca heurtera la Terre en premier ou si le Soleil explosera d'abord.

    J'ai tourné la tête vers le ciel, et savez-vous ce que j'ai pensé : "comment peux-tu nous trahir ?"

    Je l'ai regardé une dernière fois, ce prof d'histoire qui nous avait tellement appris, j'aurais aimé lui dire merci et lui demander pardon. Mais à quoi bon ?

    Et il a dit :

    -Vous êtes si jeunes.

    Sa voix s'est brisée et je crois que mon coeur l'a imitée.

    Je ne pouvais pas rester.

    J'ai quitté une salle où mes amis éclataient en sanglots, mon prof d'histoire abattu, restait planté debout, le regard vide et la désespoir rampait sous les tables et se glissait dans chaque regard.

    J'ai claqué la porte et suis partie.

    Rien ne doit me retenir en ce monde.

     

    Je suis sur le muret près du lycée et je marche.

    Je hurle, les écouteurs vissés sur les oreilles les mots de Kurt Cobain.

    Ses coups de guitare finiront bien par venir à bout du trou qui s'ouvre dans ma poitrine.

    Sa voix finira par réussir à me faire oublier les idées qui fusent, la fin, le monde qui panique et l'unique question : quoi faire ?

    Je tourne en rond, je tourne en rond ; les morceaux n'ont pas crevé l'abcès, mais l'ont amené à grossir, grossir pour exploser.

    Autour de moi, aux feuilles qui volent sur le sol se mélangent aux mots à dire, aux rêves à oublier, aux instants à graver, aux qu'est-ce qui va se passer, aux questions, aux doutes et aux accusations.

     

    Le monde s'effondre, le monde tourne plus rond.

    C'est pas nouveau, mais les gens ont enfin compris et cesse de s'activer.

    Peut-être ont-ils décidé de mourir avant la fin des sept jours ou oublier qu'on a besoin de tout le monde, mais toujours est-il que ce qui m'entoure se fige au fil des heures.

    Faudrait-il leur rappeler que la vie continue ?

    Peut-être a-t-on posé un mur devant nous, peut-être sommes nous condamnés, mais comment va-t-on résister ?

     

    Jamais je n'ai connu de tic tac plus affreux que celui qui vous murmure que c'est bientôt fini. Le temps m'a glissé entre les doigts, je rentre chez moi, la faim au ventre et la peur comme une boule qui me pèse et m'enfonce dans le sol, car il y a une chose que je viens de comprendre.

    Aujourd'hui, les règles du jeu sont différentes. Pour demain, et pour toujours.

    Trouverai-je mes parents chez moi en rentrant ?

     

    Maéli

    Ps : Le 1er chapitre de apocalypse...

    La suite dans deux ou trois semaines :)


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique