• -Julian, je te le répète : on ne peut pas faire ça !!
    -Et si je te dis que si ?
    Je les écoute les yeux clos, entre deux mondes, n’ayant pas la force de penser. Je frissonne. L’eau était froide et le vent souffle.
    La peur grignote doucement la paix qui s’était installée en moi.
    Julian marche à un rythme régulier pendant que Zia brasse de l’air en s’énervant. La chaleur de son torse ferme me réchauffe et je me laisse glisser.
    -Julian.
    Zia a semblé s’être arrêtée prononçant le prénom de mon sauveur.
    Sa voix bouillonne de colère mais elle tente de se contrôler.
    -Tu ne vas pas tout de même faire ça ?
    Le moins perturbée du monde par cette rage, Julian lâche :
    -Si.
    -On doit la ramener derrière le Mur.
    -Et pour quelle raison ?
    - Tu nous mets tous en danger en l’amenant au village.
    Zia en disant, a rattrapé Julian.
    -Et quand tu m’as ramené, peut-être que tu n’as pas mis la communauté en danger ?
    Zia s’est tue.
    Je n’entends plus que le bruit des branches qui craque, l’eau qui dévale une pente au loin, le souffle régulier de Julian, et le calme, le calme.
    Julian semble pensif.
    Dans ce silence, il a dit à Zia :
    -Tu l’aurais laissée mourir ?
    -Evidemment.
    J’ai failli ouvrir les paupières brusquement et me relever, comme sortie d’un rêve, mais je n’ai même pas frémi. Je me trouve dans un état trop comateux pour en avoir la possibilité.
    Ma vie ne tenait qu’à un fil et Zia l’aurait regardé se rompre sans sourciller.
    -Et pourquoi ?
    Dans sa voix, je sens se volcan prêt à exploser et aussi comme de la mélancolie.
    -C’est devenu trop dangereux, Julian. Les Patrouilleurs s’enfoncent de plus en plus dans la forêt et nous sommes désarmés.
    -Je ne te reconnais plus Zia.
    Peut-être lui a-t-il lancé un regard plein de tristesse.
    -Où sont passés nos rêves de l’extérieur, de renverser la société, de fonder un nouveau monde et avant tout de donner une chance aux bannis de se reconstruire ??
    Sa voix s’est brisée sur le dernier mot.
    Parfois on se demande comment les liens peuvent se briser aussi vite ou les sentiments disparaître à tel point que l’on se demande s’ils ont réellement existé.
    -Il se passe que j’ai grandi, que mes utopies sont loin derrière moi et que tu prends trop de risque, Julian. La communauté passe avant tout. Et cette fille la met en danger. Il n’y a pas qu’elle qui est en danger, mais une seconde innocente qu’elle condamne.
    Les propos de Zia, puissants et sensés, résonnent dans mon cœur mille fois plus fort.
    -Donne-lui sa chance, Zia.
    -Sa chance, elle l’a : elle vit. Maintenant ramène-là derrière le Mur et elle ne se souviendra peut-être pas de nos paroles. C’est la meilleure solution.
    -Une vie reste une vie, Zia et la condamner à retourner derrière le Mur, c’est la condamner à la folie et au bûcher ; tu crois que c’est mieux ?
    Il a enchaîné sans laisser le temps à Zia de le couper.
    -Il y a autre chose, Zia, dis-le moi.
    -Rien de plus que le bien de la communauté et son bien à elle.
    -Laisse-moi l’emmener au village.
    -Je ne peux pas t’en empêcher.
    -Non, mais tu fais partie du Conseil et tu peux décider de la faire renvoyer derrière le Mur.
    -Tu n’as pas le droit de me demander ça.
    Les pas de Zia se sont accélérés et Julian l’a saisie par le poignet.
    -Au nom de tout ce qu’on a vécu, fais-le. Je t’en prie.
    Je sens Julian qui se penche vers Zia, comme s’il allait l’embrassait et Zia, qui d’une main sur son torse, le repousse.
    -Pourquoi parles-tu du nous qui a existé ? Alors oui, j’accepte au nom de notre amour. Mais elle n’est pas la bienvenue.
    Un ange est passé.
    -Pourquoi qui a existé, Zia ?

    Maéli.


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  •  

    Oh mon Dieu, mon Dieu…

    Comment est-ce possible que j’en sois arrivée là ?

    Je retiens un rire ; ce que je suis ridicule avec mon bout de bois dans la main droite et ma corde dans la gauche.

    Je souffle, puis me mets à l’œuvre en me répétant en boucle que « non, je n’ai pas horreur du sang » dans l’espoir que cela devienne vrai.

    Le soleil est à son zénith et je n’avance pas.

    Je transpire, je souffle, je m’énerve, jamais je n’y arriverai.

    C’est juste une idée pourrie qui m’a fait perdre mon temps !

    J’ai lancé ma branche et mon bout de corde et je suis partie, furieuse.

    Je marche pour évacuer la colère qui bouillonne en moi, je me sens si impuissante raaaaaaaaaaaaaah, c’est juste pas possible que j’en sois là.

    J’arrive finalement à une rivière qui coule doucement et je ferme les yeux dès que je la voie. Je sais ce qui m’attend ; la crise de panique, mon cœur qui bat à en faire exploser ma cage thoracique, la peur.

    Une branche craque, derrière moi. Je me fige.

    Les Patrouilleurs.

    Je tourne la tête d’un coup comme prise au piège.

    Je balaye la forêt des yeux et m’autorise à respirer.

    N’aurais-je jamais fini d’avoir peur ?

    Je suis trop loin du Mur pour que les Patrouilleurs s’aventurent jusqu’ici alors je devrais cesser de m’inquiéter.

    Je pose mes yeux sur l’eau claire qui traverse la forêt en clapotant.

    J’ai soif.

    J’ai peur.

    Mais j’ai si soif…

    Je ne veux pas perdre le contrôle.

    Mais quand retrouverai-je à nouveau de l’eau ?

    Je dois apprendre à me contrôler. Je serre les poings et m’avance pas à pas.

    Je suis plus forte que ça.

    Avec un peu de chance, il y aura peut-être du poisson. A la pensée de quelque chose à manger, j’accélère, m’avance, touche des pieds nus l’herbe humide, me mets équilibre sur le bord de l’eau, je mets mes mains en coupe et bois.

    L’eau est fraîche, et me donne l’impression de revivre ; mais je ne me risque pas à m’y regarder.

    Je me baisse pour prendre une nouvelle gorgée, les yeux toujours clos, la pierre sur laquelle je me tiens bascule.

    Je tombe avec elle.

    La bouche encore ouverte, mon corps chute et tombe dans l’eau.

    Je suis emportée par le courant, l’air s’échappe par milliers de bulles de ma bouche, je panique, je panique. Je cherche le bord, je lutte pour sortir la tête et respirer.

    Le temps d’une seconde j’attrape une grande goulée d’air puis boit la tasse.

    Dans ma tête, une voix hurle « je ne sais pas nager, je ne sais pas nager », comme si elle voulait me rappeler que je n’ai aucune chance de me sortir de cette étendue d’eau, comme si je ne savais pas que ici sera mon tombeau.

    Le courant m’emporte, la panique m’enveloppe comme un doux manteau d’hiver et me pousse à me débattre en vain.

    Les bulles commencent à se tarir et mes poumons crient « de l’air ».

    Le poids de mon corps me pousse vers le fond, mes cheveux flottent autour de moi et dans ma tête les voix se taisent.

    Ici, règne le silence.

    Les battements de mon cœur ralentissent.

    Le calme m’envahit. Finalement, tout est fini.

    Ici, rien ne me retient.

    Je ne songe pas à tout ce que je ne connaîtrais jamais mais au fait qu’avant de mourir, j’aurais au moins vu ce qu’il y a derrière ce Mur.

    Et qu’être maudite en valant certainement la peine…

    Mes yeux doucement se ferment et les battements de mon cœur doucement se taisent quand l’eau bouge. Quelqu’un s’est jeté dans la rivière et m’attrape par la taille.

    Je tente de résister mais je lâche prise avant..

    Il remonte brusquement à la surface et je m’étouffe à essayer de prendre le plus d’air possible.

    -Julian !!! Tu es fou !!!!

    Le jeune homme qui me tient répond à cette voix féminine :

    -Nan Zia, c’est toi qui est folle… Rappelle-toi une vie reste une vie.

     

    Maéli.


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  •  

    Les rayons du soleil caressent ma peau et me réveillent.

    Je m’étire, mes pieds s’enfoncent dans la boue, je souris.

    Il fait bon, les oiseaux pépient. Jamais je n’ai eu de réveil aussi paisible.

    J’entends mon cœur battre, et je fais le vide en moi.

    Ma gorge sèche me force à me lever.

    Je trouve une flaque d’eau et je me penche, les yeux fermés pour boire. Je plonge ma tête en entier.

    Et, brusquement, j’ouvre les paupières.

    Je fais un pas en arrière et je tombe.

    Mon cœur bat à toute vitesse, ma respiration est rapide et heurtée ; je me sens mourir, un trou se creuse dans ma poitrine, noir et attirant, je voudrai n’avoir jamais ouvert les yeux.

    Je ne sais plus où je suis, je ne sais plus ce que je fais ; mais qui suis-je ?

    J’ai peur, oh mon Dieu, si peur.

    C’était réel.

    Les sanglots montent, m’étouffent, mettent mes armes au sol, et je m’effondre. Ils coulent sur mes joues et je pleure, pleure à en oublier le monde qui m’entoure.

    Je lâche tout et ma tête heurte une pierre en tombant sur le sol.

    J’ai si mal, oh oui si mal…

    Et je perds du sang.

    Mes mains agrippent la terre par poignée, la douleur me déchire les entrailles et rend la vie, vaine si vaine ; si la Terre pouvait s’ouvrir, pour m’emporter, pour me soulager…

    Mon dos se cambre sous la douleur. Physique et psychologique.

    « Tout est dans la tête » disait mon père.

    Mais si je n’existe plus ?

    Je suis l’air qui boit l’eau, le pied qui laisse une trace dans l’herbe, le sang qui coule, mais d’où ?

    Car oui si je me perds, si la folie m’emporte, si je perds mon existence, mon sens ; si je perds la tête, je viendrai à disparaître à mes propres yeux.

    Ainsi ma condamnation au bûcher sera prononcée.

    Peut-être que ça a déjà commencé.

    Si je suis condamnée avant la fin de l’automne, j’entraîne dans ma chute une deuxième fille. Lors de la prochaine moisson, deux seront maudites ; en sacrifice.

    J’étais belle, j’étais jeune, j’avais deux prétendants à l’accouplement ; tout est parti en miettes.

    Je perds du sang, je perds la raison et avec mes larmes, c’est la douleur qui trace son sillon sur ma peau.

    Quand mon esprit commence un peu à s’apaiser, que je me sens plus lucide, une pensée s’impose à moi, elle me percute, comme le ferait un boulet de canon sur un mur, elle explose en un millier d’étincelles, un millier de bout de verre qui s’incrustent dans ma peau, la traverse et me brise en mille morceaux.

    Une peur qui s’insinue dans chaque vaisseau sanguin qui me parcoure, qui accélère le rythme de mon cœur, qui me pousse à mettre mon chagrin de côté.

    Les Patrouilleurs.

    Je tente de me relever. Une, deux, trois fois. Je me sens faible, je tiens à peine sur mes pieds, je tremble encore un peu.

    J’ai le dos courbé, comme écrasée par le poids de cette malédiction. Je marche par petits pas, sans but ; j’erre jusqu’à ce que je m’arrête dans une petite clairière.

    J’ai faim.

    La faim me tiraille l’estomac, m’affaiblit, me force à fermer les yeux. Deux jours que je n’ai pas mangé.

    Il m’était impossible d’avaler quoi que ce soit avant la cérémonie ; si j’avais su…

    Je vais devoir trouver de la nourriture.

    Rentrer à la maison, me paraît juste impossible, au-dessus de mes forces ; et les maudites ont une semaine avant d’être obligé de répondre présent à l’appel quotidien.

    Je vais devoir chasser.

    Non non non non.

    J’aperçu une fleur de muguet et me mis à rire d’une manière hystérique.

    La vie est ironique à en faire mal…

    Je ne pouvais plus m’arrêter.

    Ce n’était pas la saison pour une telle fleur, mais je ne m’étonnai pas. Ce qui me brisai le cœur c’était les souvenirs accrochés aux petites clochettes de cette fleur ; ma mère m’avait dit un jour qu’elle portait bonheur et j’avais passé mon enfance à tenter d’en dénicher le plus possible, je portais une fleur de muguet sur ma robe, le jour de la cérémonie , et c’était celle qu’on avait déposée sur le cercueil de mon père…

    Mon rire finit par se taire et me laissa face aux souvenirs et à cette idée : j’allai devoir chasser.

    Maéli.


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  • Non, ce n’est pas possible…

    Non non non non non non…

    Je tourne la tête dans tous les sens, mais impossible de voir ce que je cherche.

    Je panique, ma respiration se bloque, ça ne peut pas être vrai…

    Ça dépasse les limites du possible, de l’imagination, ce n’est pas réel.

    Je me mets à marcher, puis à courir, de plus en plus vite, je n’entends plus que ma respiration, rapide et heurtée.

    Le vent est frai sur mon visage, les larmes sont amères et pleines de l’horreur de ce qui m’arrive ; mes pieds frappent le macadam de plus en plus vite et je vois les passants s’arrêter sur mon passage, me regarder.

    Je fixe droit devant moi.

    Je trébuche sur un déchet et fais un saut pour me rattraper, je saute par-dessus les rebords de trottoir et je finis par le voir.

    Le Mur.

    Mon cœur bat à la chamade, je n’ai jamais fait ça, tant pis, je fuis, je me jette sur le Mur, attrape le grillage et grimpe en faisant tinter le métal à chaque mouvement.

    En quelques minutes, je suis en haut ; je me laisse tomber du haut de notre Mur de grillage, si gris, me voilà en zone interdite.

    Je titube quelques secondes encore sous le choc de la chute brutale et je repars.

    Si je m’arrête, je suis finie.

    Si je prends le temps de penser, juste une seconde, rien qu’une seconde, je tomberai dans le noir.

    J’ai perdu mes chaussures depuis longtemps et je cours, ma robe blanche suivant mon mouvement dans une forêt verte qui m’a intriguée toute mon enfance…

    Mes pieds nus se perdent dans la boue et glissent et je sais que ce n’est qu’une question de secondes avant que je ne chute. Inéluctablement.

    Je m’appelle Elizabeth et je suis maudite.

    Je vis dans un village, loin de tout, entouré du Mur, le grillage sacré qui nous protège de la forêt ; je ne connais pas le monde extérieur.

    Chaque année, au moment de la moisson, les jeunes filles de quinze ans sont convoquées chez la Grande Prêtresse et deux sont choisies.

    Une sera maudite ; l’autre bénie.

    J’ai été choisie. Et maudite.

    Jamais je ne pourrai me voir dans un miroir, dans une flaque d’eau, dans une vitre ; je suis condamnée à ne plus savoir à quoi je ressemble.

    Je ne reverrai jamais mon visage.

    Cette pensée me frappe et je trébuche…

    Je tombe, je m’étale dans la boue, ma tenue de cérémonie n’est plus que lambeaux.

    Dire que j’avais rêvé de ce jour, rêvé d’être choisie, qu’on m’appelle, que je m’avance, illuminée par un rayon de lumière descendant du ciel, sur moi.

    Des trombes d’eau se mettent à tomber du ciel et je suis rapidement trempée.

    Je ne pourrai plus jamais apercevoir mon ombre ; celle qui me suit partout, celle de mes contours, celle qui me grandit, celle qui me floute, qui change avec moi.

    Je suis condamnée à n’être qu’un fantôme errant ; que seuls les vivants verront.

    Tous, sauf moi.

    Dans dix jours, on viendra me graver au fer rouge le signe de ma malédiction…

    Je perdrai tout ; mon identité, ma maison, mes amis, jusqu’au jour où je me perdrai moi-même.

    On m’a volé mon visage, et ils veulent me voler ma personnalité.

    Le jour où je me perdrai, je n’existerai plus, je n’aurai plus rien qui fasse de moi qui je suis, plus personne à qui me raccrocher ; alors ils me tueront et me brûleront  sur un bûcher.

    Les larmes coulent et dessinent un sillon témoin de leur passage sur mon visage si pâle, quel immense chagrin…

    D’un coup, il cesse de pleuvoir et je tente de me relever. Mais mes bras cèdent et je retombe dans la boue, dans mon enfer.

    Comme c’est étrange…

    Je sens mon visage sale, plein de terre, mais je ne peux le voir.

    Dans la boue, sur le sol, en plein milieu de cette forêt.

    Je tremble, je passe mes doigts sur mon visage, si seulement…

    Je gémis dans le noir de cette forêt devenue sombre.

    Je n’ai pas la force de bouger, juste celle de pleurer à sanglots heurtés allongées sur le sol, en zone interdite, là où personne ne pourra venir à mon secours.

    Une fois que mon prénom a franchi les lèvres de la Grande Prêtresse, il n’y avait plus aucun recours.

    Que mes complexes paraissent stupides aujourd’hui.

    Je me recroqueville et, je laisse le sommeil me gagner.

     

    Ils m’ont volée mon visage. Ils s’apprêtent à me dérober tout ce qui me reste.

    Peut-être que je pourrai lutter contre l’inéluctabilité.

    Peut-être.

    Je serai bien la première à tenter de défier le sort.

    Mais je n’en ai pas la force.

    Je suis si seule.

    Et, j’ai tant de chagrin en moi.

     

    Maéli.


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