• Elle.

    Elle marchait.
    Elle avait une démarche rien qu’à elle, une démarche féminine, dans le vent. Assurée ; comme si rien ne pouvait l’arrêter.
    Ses cheveux blonds volaient ; ils encadraient son visage comme le ciel encadre le soleil.
    Je la regardai, du trottoir d’en face, coincé derrière mon feu rouge. Hypnotisé.
    Elle rayonnait.
    Je la voyais avancer, belle comme la lumière du jour, dans cette aube naissante.
    Elle m’aperçut, dans la foule. Elle sourit, et de ce sourire, elle aurait pu faire dégringoler toutes les étoiles du ciel ; mais c’est mon cœur qui fondit sous le coup.
    Les voitures roulaient, passaient devant mes yeux, mais je ne la quittai pas. Je ne voyais qu’elle.
    Elle, elle et elle.
    C’était le son du tambour qui battait en moi, le mot en suspens dans l’atmosphère à chaque seconde, le soupir dans chaque souffle, la force en chacun de mes pas.
    Mes ailes dans le ciel.
    Elle était le refrain de la musique qui pulsait dans mes veines, qui brisait mes tabous, fracassait mes chaînes ; les notes sur lesquelles je marchais jusqu’au ciel, et dans ses papillons qui voletaient dans mon ventre.
    Mes peurs défoncées, mes démons envolés et le paradis grand ouvert, juste là ; devant moi, dans ses bras.
    Les voitures cessèrent de passer pendant quelques instants.
    Le temps pour elle de se dire qu’elle ne pouvait plus attendre, le temps de mettre le pied sur la route et de ne pas voir arriver le bus.
    Juste une seconde.
    Le temps se fragmenta, se disloqua, ralentit.
    J’étais coincé dans la foule, j’avais beau bouger dans tous les sens, tenter de forcer le passage, les gens refusaient de me laisser passer ; pour eux je n’étais qu’une petite mouche gênante.
    Qu’une fourmi dans l’univers, qu’une bulle d’écume dans l’océan, qu’un grain de sable sur la plage.
    Peut-être, mais j’étais aussi une bulle de savon sur le point d’éclater et ma seule étoile qui brillait dans le noir allait s’éteindre…
    Le feu qui brûlait en moi se préparait à exploser en des milliers de secondes douloureuses, d’insomnies et de souvenirs maudits.
    Mon cerveau alla plus vite que la réalité.
    Je la vis poser le pied sur la route et le bus la saisir au passage.
    Je croisai son regard, ses yeux aigue-marine sur lesquels je voguai, je coulai, je me noyai, je me perdis. Deux prunelles dont je connaissais chaque nuance, chaque humeur.
    Mon dernier refuge, mon amour.
    J’assistai à la scène, témoin impuissant avec « un pourquoi ? » déchirant comme unique question. Je notai son incompréhension face à mon visage qui se décomposait, qui lui hurlait : « non non non ne fait pas ça ».
    Ne me quitte pas.
    Je voyais l’avant du bus qui la faisait basculer, la renversait, et elle, tomber dans une ultime chute silencieuse. Sa tête frappa le goudron en un bruit mat qui me hantera toujours et ses paupières se fermèrent.
    Elle était partie.
    Sans moi.
    Fauchée dans son élan, fauchée dans son bonheur.
    Le sang glissait doucement sur l’asphalte…
    Mes rêves réduits en miettes, jonchaient le sol, à mes pieds, mes ailes déchirées voletaient encore un peu dans cette brise de printemps et j’entendais mes espoirs gémir dans le puits où ils avaient atterri.
    Ma raison de vivre, ma raison de me lever, ma raison de me tenir, là, debout ; la seule chose qui importait. Ma boussole, mon point de repère ; envolé.
    Je voyais devant moi les néants qui m’attendaient, les fantômes, les souvenirs qui rampaient jusqu’à moi ; la colère, la haine de la mort, le vide.
    Je m’appelle Adam. Adam Bricel.
    Sous mes yeux, l’amour de ma vie vient de mourir.
    Jenyfer.
    Une seconde a coupé le souffle de sa vie, sans briser le lien qui nous uni.
    Il n’y avait pas de mots pour la décrire, mais pas de mots non plus pour parler de nous.
    Ma moitié, mon évidence.
    Sans elle, rien n’a de sens ; rien n’a d’importance.

    Brusquement, je revins à la réalité.
    Je clignai des yeux, me rendis compte que dans un dixième de seconde, elle mourrait.
    Dans ma tête, les pensées fusaient et je revis mon passé. Les châteaux de sable, les parents, les engueulades, les bonheurs, mon premier amour, la chute, les ténèbres ; et Jenyfer.
    Dans cet instant, je ne percevais que les battements de mon cœur.
    Je fermais les yeux et j’entendis ma conscience me hurler la vie, l’avenir qui me tendait les bras, ma famille, les beaux proverbes.
    Mais peu important.
    J’ouvris les yeux, me propulsait en avant, poussai tout le monde et me jetai sur Jenyfer.
    Elle semblait rassurée de me voir. Non, je ne pouvais la sauver, mais je pouvais tenir mes promesses. Elle ne partirait pas sans moi.
    Je la saisis, enroulai mes bras autour d’elle, je la serrais comme un pétale de rose, contre mon cœur, je serai son bouclier, son dernier rempart, son unique refuge ; le bus nous frappa de plein fouet et je l’embrassai.
    Nos larmes se mêlèrent dans notre dernier souffle devenu brasier.
    Une seconde nous vola nos vies.
    Une décision fit voler en éclat le chemin que nous avions tracé.
    Des éclats de verres ensanglantés volaient autour de nous, nous brisâmes le pare-brise de ce bus, et le sang coulait ; mais dans nos cœurs le soleil brillait.
    Partis dans un dernier je t’aime.
    Unis.
    Jusqu’à la mort.
    Et dans la mort.
    Une seconde a suffi.

    Maéli
    PS : Voici un texte que j'avais présenté pour un concours de Lecture Academy qui n'a pas été "élu".

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 14 Mai 2014 à 14:56

    Un seul mot : bravo. J'aime beaucoup les passages descriptifs. Des mots fragiles pour une fin tragique.

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