• 5..Je dois partir

    Peut-être ai-je perdu le fil ou alors me suis-je endormie ; mais me voilà allongée sur un sol de terre battue à cligner des paupières pour revenir à moi.

    Je me relève d’un coup, prise de panique ; le cœur battant.

    Serais-je revenue chez moi ?

    Je jette de coups d’œil furtifs, mais non ; mon cœur se calme, mon souffle se fait plus silencieux, me voilà en terre inconnue. Et bizarrement, cette pensée me rassure.

    Lentement, je pivote ma tête à droite et me fige.

    La silhouette que mon œil avait à peine saisie lors de ce coup de panique se dessine plus précisément. Je suis ses cheveux bruns ébouriffés, certainement pas coupés depuis quelques mois, sa nuque ou perle des gouttes de sueur, son sweat qui a dû un jour être vert mais qui est devenu gris…

    -Ah.. Tu es réveillée.

    La chaleur est montée, d’un coup, à mon visage, m’a enflammée, ravagé mon cœur ; sans que je puisse lutter. Je suis affreusement gênée, pendant qu’il me balaie d’un regard perdu qui se fixe sur mon visage.

    -Ça va ?

    Je me tais, je ne veux pas répondre.

    Je repense à Zia.

    Je ne peux pas le laisser engager la conversation, le laisser m’enchaîner à lui alors qu’il appartient à Zoé, alors que je brise ce qui reste du lien qui les unit.

    Je ne peux pas accepter de mettre en danger qui que ce soit par le seul fait que j’ai failli me noyer et que j’ai besoin d’aide.

    Je ne peux pas permettre qu’une autre fille soit maudite à cause de ma disparition.

    Je ne peux pas rester, c’est simple.

    Je vais faire honneur à ma famille, rentrer chez moi la tête haute, et tout faire pour tenir le plus longtemps possible.

    Je me suis grattée la gorge et j’ai lancé, dans ce silence, une phrase qui deux heures plutôt m’aurait semblée folle, si folle :

    -Je dois rentrer.

    Il m’a lancé un regard surpris.

    -Pourquoi ?

    -Je ne peux pas rester.

    Il a semblé deviner :

    -Tu as entendu ce qu’a dit, Zia, hein ?

    J’ai haussé les épaules.

    -Peu importe, non ? Ce qui compte, c’est qu’elle ait raison et que je doive quitter cet endroit au plus vite.

    Il a planté ces yeux dans les miens, et c’est à ce moment-là que tout a changé.

    Le moment où j’ai plongé mes yeux dans les siens et que j’ai su qu’à jamais je serai prisonnière de ce regard.

    Deux yeux verts, pour voguer à jamais sur l’infini du monde, hors de temps.

    Deux yeux couleur émeraude, couleur des étendues d’herbes, couleur de la mer dans ces journées de tristesse.

    Deux yeux qui m’ont pris et qui ont refusé de me ramener sur le rivage.

    -Tu ne tiendrais pas deux jours.

    Mais pour qui il se prenait ?

    -Ah bon ?

    -La nature est trop sauvage par ici. Nous sommes loin de là la clôture ; trop loin si tu veux espérer y parvenir avant de mourir de faim ou de soif.

    J’ai levé les yeux au ciel.

    -Ce n’est pas ça qui m’arrêtera.

    -Même pas la mort ?

    -Tu sais, je suis maudite, mon compte à rebours a perdu quelques dizaines d’années ; alors pourquoi pas en perdre quelques autres ?

    Je l’ai pris par surprise. J’ai profité des quelques secondes qu’il a mis pour avaler ce que je venais de lui dire pour me lever.

    Il m’a attrapée par le poignet pour me forcer à m’arrêter.

    Je me suis retournée pendant qu’il me disait :

    -Zia avait tort. Tu ne peux pas t’offrir en sacrifice sous prétexte que d’autre vont peut-être mourir.

    -Eh bien si.

    -Si tu étais morte, il y a deux jours ; si je n’avais pas plongé pour te sauver, que penses-tu qu’il serait arrivé ?

    Je suis restée sans voix.

    Que puis-je dire ?

    « Je vais faire honneur au fait que tu m’es sauvée en allant mourir » ? Ce serait ridicule.

    J’ai soufflé.

    -Tu proposes quoi ?

    -Tu t’installes ici. Dans notre village.

    -Et après ?

    Je me suis assise et l’ai vu baissé les yeux.

    -J’en sais rien.

    J’allais me relever aussi sec et lâcher un dur : « Je serai certainement plus utile derrière la Grille qu’ici. Au revoir. » quand j’ai lu sur son visage beaucoup de doute. Et de douleur.

    Et c’est ça qui m’a retenue.

    Aussi incroyable que ça puisse paraître.

    -Zia..Zia et moi, on est arrivés ici des rêves pleins les poches et du bonheur qui débordait de nos cœurs ; on était prêts à tout pour faire changer les choses. Je me rends compte à quel point on aurait fait n’importe quoi pour sauver la moindre vie. On avait tellement de projets… L’avenir nous semblait radieux quelles que soient les épreuves qui nous attendaient.

    Il s’est tu et j’ai regardé le sol.

    Le voir se souvenir de ces instants enrobés d’un bonheur enfui me faisait trop mal.

    Trop d’échos en moi résonnaient sur la même fréquence.

    -Le temps a passé. On a fait ce qu’on a pu, mais ça n’a pas suffi ; on a enchaîné les désillusions. On a construit quelque chose de grandiose mais à côté de tout ce qu’on a donné et ce qu’on espérait, c’est si peu…

    Un ange est passé et l’air s’est rempli de douleur.

    Il m’a regardée et, timidement, mon regard a osé croiser le sien.

    L’air était devenu électrique, mon cœur battait à cent à l’heure, la pièce allait exploser.

    C’était comme si l’air se compactait, au minimum et qu’elle s’apprêter, à d’un coup reprendre sa taille. Reprendre sa taille, tout faire exploser, nous emporter, nous consumer.

    Je me noyai dans l’océan de la douleur que je lisais dans ces yeux. Comment peut-on souffrir autant ?

    Il se penchait, dangereusement.

    Mes mains me démangeaient, je voulais le toucher le toucher, j’en avais besoin. C’était comme si, si je ne le touchais pas, j’allais mourir.

    J’étais une flamme et il était mon oxygène ; encore inatteignable.

    Ses lèvres allait frôler les miennes quand Zia a ouvert la porte de la cabane.

     

    Maéli.

    Ps : La suite d'Apocalypse avant jeudi et un texte pour fêter les 100 visites cette semaine, ça vous dit ?? ;)

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