• Je souris. Comme j'aurais aimé le tuer quand je l'ai vu manger mes petits oignons. Je l'aurais bien étranglé aussi pour avoir brisé le mur de ma solitude ; j'étais bien, seule dans ma cuisine.

    Mais forcément, il faut que je tombe sur le mec qui a le moins de gêne.

    J'affiche un sourire niais sur mon visage, il tire sur tous mes muscles ; le début, c'est le meilleur. Je savoure encore le commencement de cette histoire, alors que je ne savais pas ce qui m'attendait.

    Il y a ce murmure qui me dit de savourer tant que je peux, tant qu'il est encore temps, avant que je ne me rapproche trop du présent ; parce que c'est là que ça risque de blesser.

    Mais sans hésiter, je ferme les yeux ; je sens encore l'odeur de cette vieille cuisine et de ma poêlée de légumes sur le feu.

    Le rideau s'ouvre, les acteurs sont en place, les lumières aussi ; tout peut continuer.

     

    -Hééééé surtout ne te gêne pas !

    Il n'a même pas ouvert les yeux, en reprenant même une cuillerée. Je bouillonne, exaspérée par son culot ; non mais on aura tout vu...

    Je lève les yeux au ciel et les mains sur les hanches, m'avance pour me planter juste devant lui. 

    Je lui arrive au menton, et le côté ridicule de la situation me saute au visage.

    Je lui écrase un bon coup le pied.

    Il fait un bond en arrière accompagné d'un très classe "putain ça fait mal !"  pendant que j'ai un petit sourire. Sa petite cuillère vole et fait un bruit désagréable en retombant sur le sol.

    Je l'ai fixé comme si mes prunelles pouvaient lui tordre le cou.

    -Quoiiiiii ?

    -C'est mon repas.

    J'ai bien appuyé le "mon", histoire que le message passe ; peut-être qu'il allait comprendre que c'est impoli.

    Ou pas.

    -Tu peux partager, au moins !

    J'ai souri.

    -Non.

    J'ai récupéré ma poêlée de légumes et mes petits oignons, me suis installée à ma place, faisant fi de cet individu dérangeant.

    Il a marmonné pour lui-même.

    -Au moins, on est quittes.

    Alors je l'ai entendu faire demi-tour. Evidemment, je n'ai pas compris ce qu'il disait ; mais au moins, j'avais le silence pour moi.

     

    Mais pas pour longtemps.

     

    Maéli

    Bon, je ne suis pas hyyyper satisfaite...

     

     


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  • Qui a dit que ce voyage serait facile ?

     

    J'ai monté les marches de la résidence -forcément, j'ai hérité d'un appart' au dernier étage. Ma chance est légendaire.

    Bon, au moins, je fais du sport.

    Je rigole moins quand je monte les courses, mais en rentrant des cours, ça va. Je ne suis même plus essoufflée quand j'arrive en haut -miraaaacle.

    Une semaine que ma première année en droit vient de commencer et je ne connais toujours personne. En fait, c'est surtout que j'évite mes voisins et toute forme de conversation. J'ai une maladie qui s'appelle la timidité. Elle est assistée par la maladresse, donc bon, si les gens sont trop directs et me montrent qu'il s'adresse clairement à moi, et bien je les ignore.

    C'est une technique affûtée au fil des derniers années.

    Certains individus sont particulièrement tenaces -ce qui explique que j'ai tout de même des amis. Pas ici. Pas encore.

    J'aime la sûreté de ma petite bulle.

     

    Je suis descendue au rez-de-chaussée pour me faire à manger dans la cuisine collective. J'ai calculé que j'avais une demie heure avant l'heure de pointe. Avec un peu de chance, personne ne sera là.

    J'adore cuisiner, et c'est parfait parce que personne n'est là !

    Je fredonne, revigorée à l'idée de ma solitude. J'adore cuisiner et assez rapidement, ça embaume dans toute la cuisine. 

    Perdue dans mon monde, je n'ai pas entendu l'individu de sexe masculin qui se trouve maintenant en face de moi arriver. La tactique est simple : il n'existe pas.

    Bon, il n'a pas l'air du même avis puisqu'il beugle :

    -La vache ! Ça sent bon ! Je peux goûter ?

    Je le regarde et je le fusille de cette pensée "même pas en rêve" ; puis je me retourne, toutes à mes oignons fris croyant qu'il avait compris.

    Le voilà qui vient renifler au dessus de mes oignons qui crépitent et de ma poëlée de légumes, je le scrute, méfiante.

    -Je peux en avoir un peu ?

    Sèchement, je réponds :

    -Non.

    Et je lui tourne délibérément le dos.

    Je pose mon couvert sur la table, installe tout, faisant abstraction de cet individu indésirable.

    Et j'aurais pas dû.

    Parce que quand j'ai pivoté, il était entrain de savourer mes petits oignons, les yeux fermés, l'air au paradis. Il pouvait, hein.

    Voici Steven. Je ne l'ai pas reconnu sur le moment, mais notre rencontre officielle a failli mettre fin à son existence.

     

    Maéli

     

     


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  • J'aurais jamais dû ouvrir ce paquet et encore moins prendre ce train.

    Mais c'était trop tard, le passé s'est imposé à mon regard ; avec cette substance qu'à la réalité, j'aurais voulu crier faussaire, mais j'étais déjà dix ans plus tôt.

     

    Je gratte le papier de mes mots, dessinant le monde qui m'entoure, inventant des histoires. Assise sous un arbre, dans le parc à côté de l'université, je savoure le silence du monde alentour.

    Les cigales chantent, dans l'herbe carbonisée par le soleil et les feuilles s'agitent doucement sous les caresses du vent.

    J'ai entendu au loin la cloche sonner, alors j'ai précipitamment rangé mes affaires, mon sandwich que je n'avais pas mangé, mes stylos, mes papiers et j'ai pris mon sac. 

    J'ai soupiré parce que je passe ma vie à courir.

    J'écris, j'oublie le temps. Je dessine, j'oublie le temps. Je travaille, j'oublie le temps.

    Je suis réglée sur une autre galaxie, alors je finis en retard pour tout ; c'est comme ça que je saute des repas, que je suis une pro de la course et même si je déteste ça, je finis par arriver à l'heure même quand je suis en retard.

    J'ai mentalement essayé de me souvenir de ma salle, et dans ma lancée, je n'ai pas fait attention au monde autour.

    J'ai foncé droit dans le torse d'un inconnu. Un "hééé mais fais gaffe putain !" lui a échappé.

    Je ne l'ai même pas regardé, j'ai ramassé mes affaires et suis repartie.

    J'ai entendu un cri dans mon dos "malpolie !" et je ne me suis même pas retournée.

    Je vis vraiment dans ma bulle, c'est hallucinant.

    Alors si vous pensez que ma première rencontre avec Steven était romantique, absolument pas. Je ne l'ai même pas vu. 

     

    J'ai soufflé quand je suis revenue sur terre, c'était si bon, si bon. Je ne me doutais pas de ce qui pouvait arriver après.

    Et puis, à vrai dire, je m'en fichais.

    J'ai souri. Il fut un temps où mon seul objectif était de ne pas arriver en retard.

     

    Mais, évidemment, mon coeur n'est pas rassasié d'un souvenir ; il ne me lâchera pas tant qu'on n'aura pas retracé ce qui m'amène là. Alors, je me suis laissée portée.

    Pour de bon.

     

    Maéli


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  • J'ai pris ce carton et je l'ai ouvert ; j'ai inspiré un bon coup quand le vent des souvenirs a voulu m'étouffer et j'ai pris la première lettre sur le tas.

    Y a comme une voix qui m'a dit "t'es sûre de vouloir faire ça ?" et j'aurais voulu lui crier que non non non, mais je suis dans le train, non ? Je vais pas encore me débiner maintenant.

    Non, mais comme experte de la fuite, difficile de trouver mieux. Je suis comme désarmée face aux événements de ma vie et c'est comme si, à chaque croisement des chemins, j'avais pété un fusible. Comme si j'avais trouvé un moyen pour faire disparaître la magie des instants et faire un truc que je ne pensais pas.

    Mais j'ai pas d'excuses, hein.

    C'est pour ça que quand j'ai lu les premières lignes, j'ai dû m'arrêter parce que c'était trop.

    A mon ange ailé...

    J'ai fermé les yeux en appuyant fort sur mes paupières pour oublier que tout ça est réel, que merde, on est maître de sa vie, et que la vache, j'étais encore entrain de me dégommer le coeur à braver les interdits.

    J'ai soupiré.

    Mais là, ça vaut le coup, non ?

    J'ai soupiré et j'ai recommencé à lire.

    Le temps passe vite, si vite et si lentement... Ça fait six mois que ton image me suit partout ; j'ai essayé de tout effacer, je te promets que j'ai essayé de recommencer, de construire quelque chose.

    J'ai changé de métier, je me suis réalisée un peu partout ; je suis une jeune femme épanouie, comme on dit. J'ai tout : l'argent, les voyages, le bonheur, un travail et des amis que j'aime, la réussite.

    Et toi ?

    L'autre jour, j'ai repensé à comment tout a commencé. Et c'est une histoire assez incroyable ; les histoires d'amour ont ça de fou. Elles dépassent vos rêves les plus dingues, en construisent de nouveaux et comme une étoile filante, une fois évaporée, elles vous laissent avec ce doute.

    Dis-moi, c'était bien réel, tout ça ?

    Et pour la première fois depuis dix ans je me suis autorisée à repenser à nous.

    Tous les murs sont tombés sur le passage de la vague des souvenirs qui a déferlé, entrant pour une fois par la porte d'entrée.

    Jusqu'à me submerger.

     

    Maéli


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  • Le train roule roule roule. Le monde devient flou, l'extérieur fait à peine l'effort d'être esquissé ; je fonce à 200 km/h.

    J'ai peur.

    Tout a commencé avec ce paquet sur la table.

    Je ne l'aurais jamais pris d'ailleurs, en temps normal. Si la chanson n'avait pas retenti à cet instant, , si mon frère n'avait pas crié contre ma mère, si une larme n'avait pas roulé sur mon visage.

    A l'instant où je l'ai vu, tout s'est télescopé. Absolument tout. Une bombe dans mon salon, emballée dans son carton ; depuis tout ce temps, elle devait m'attendre...

    Un ciseau a coupé les fils qui me maintenaient debout, en contact avec le sol. A un moment dans ma vie, j'avais tourné à un croisement et je m'y retrouvais.

    Enfin, j'avais refusé de tourner.

    Le train fonce, il ne quitte pas de vue sa trajectoire et j'ai les yeux fixés sur le carton que j'ai emporté, je m'apprête à dégoupiller la grenade ; on pourrait croire que le train glisse, comme ça, sur ma vie. Tout n'est qu'histoire d'équilibre.

    Maintenant que je suis montée dedans, je peux plus descendre ; je vais devoir ouvrir ce paquet.

     

    A la fois, je sais exactement ce qu'il contient ; à la fois, j'aurais dû l'enterrer dans mes souvenirs, je l'ai posé à un croisement, quelque part.

    J'ai peur de lire ces lettres.

    Oh oui, j'ai toujours eu le goût des risques, mais cette fois, je ne me sens pas prête à tenter le coup ; le passé est encore violent.

    Pourtant, c'est ce paquet de lettres qui m'a poussée à monter dans ce train.

     

    Maéli

    PS : Ma nouvelle chronique (commencée sur Appelle-moi Liberté mais comme je vous l'avais dit, je transfère toute mon activité littéraire ici ;) )


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