• 5_Humanité

    J-4

     

    Il boit.

    La bouteille au goulot, il boit des grosses gorgées, comme si de rien n'était. 

    D'où je suis je sens son regard qui tangue et son coeur qui boite. J'aurais pu ne pas bouger, partir ou lui dérober sa bouteille.

    Après tout, tout n'est qu'une question d'humanité.

    De peur, d'amour ou de regrets.

    Une histoire de sentiments.

    Mais je ne prends pas le temps de réfléchir, d'infléchir sur cette décision dingue, qui va tout bouleverser, mais qui me ressemble tellement, je me précipite sur lui, comme un boulet d'canon. Un boulet de canon qui a la rage :

    -Mais tu es fou ??

    Il me jette un regard qui me donne envie de mourir, de m'enterrer, là tout de suite, un regard qui me dit, perds espoir, tu ne t'en sortiras pas. 

    Mais j'ai voulu croire en lui.

    En lui et en sa vérité.

    Maintenant qu'il m'a mis sur le chemin, il doit me montrer la direction. Il ne peut pas me laisser là, plantée sur la route.

    -D'façon on va mourir !! Alors à quoi bon ??

    Et là, tout de suite, j'ai envie de tout déballer, de lui répliquer :" C'est des questions qu'on s'pose toujours, tous les jours, qu'on meure ou pas demain ; alors en quoi ça change la donne ??!"

    J'avais tellement envie de lui hurler ça au visage que je crois que je l'ai fait.

    Il ne se démonte pas, ne cille pas, il me surprend ; il me tend la bouteille.

    -Tiens. Prends-ça, noies tout.

    Et c'est moi qui aie perdu l'équilibre.

    Il y a eu cet instant, cette infime seconde d'hésitation. De tentation.

    Pourquoi refuser ?

    Et là, ma voix de petite fille sage s'est exprimée tout fort :

    -Attends ?? Mais tu veux vraiment me faire faire n'importe quoi ?? Tu trouves pas que ce monde est assez fou ?? Tu me rends dingue !! 

    Pas besoin d'boire pour dire c'que je pense.

    Et j'ai attrapé sa bouteille et je l'ai fracassée contre le mur d'en face :

    -Tu trouves pas qu'le monde tourne pas assez rond ??

    Ça, c'est fait.

    Je lis dans ces yeux qu'il veut me sauter dessus, il veut planer et je viens de lui prendre son shoot ; nan il refuse de redescendre. Eh ben écoute mon gars : tu rêves !

    Je ne sais plus ce que je fais, j'agis sans penser à rien, je suis en colère, j'en ai marre, j'ai peur, et je crois que je m'attache un peu trop à lui...

    Je lui prends la main :

    -Allez, lève-toi. Lève tes fesses.

    Il est trop amoché pour faire quoi que ce soit.

    "Et maintenant je te porte ?? " lui reproche mon regard.

    -Va-t-en.

    C'est de la bouillie de mots mais c'est ce que j'en comprends.

    -Tu crois peut-être que je vais te laisser planté là, dans ta solitude et tes idées noires ?? Que je vais rien faire pendant que toi tu contemples ce temps qui part en flammes avec ta raison d'être ?? Tu crois p'têtre que c'te drogue te rend vivant, oui, vivant mais elle te ronge !!

    Je lui prend la main, le tire, je m'en fous de ces gémissements, je m'en fous de tout !

    Je l'emmène dehors et je parle. Je débite tellement de choses, il ne doit rien comprendre dans son état, mais peu importe.

    -Je t'ai trouvé, je te lâche plus, tu m'entends ?? Fallait pas v'nir me chercher !

    Et je l'emmène dehors.

    Je prends une couette, je nous enroule dedans, je lui empêche tout mouvement et je nous laisse contempler le ciel.

    -Je sais que tu t'en contrefous de l'infini, du calme là que je rêve de posséder en ce moment même mais j'ai besoin de parler pour évacuer la fureur dans laquelle tu viens de me mettre.

    Je me tourne vers lui :

    -T'imagines la peur que j'ai eu ??

    Ma voix se brise.

    -Je tombe sur toi et quand je commence à peine à te faire confiance je comprends que c'était pas moi qui avais besoin de m'appuyer sur toi, mais l'inverse ?!

    Je me plonge dans ces yeux, je vais me noyer.

    Dedans j'y vois le reflet de ce qui me coulait il y a si peu de temps...

    Je vais me perdre, plus jamais je ne remonterai à la surface.

    Je voulais l'aventure, je l'ai trouvée.

    -T'imagines un instant ce que t'as fait ??

    Je ne me rends pas compte, mais doucement, il redescend sur Terre, son regard s'accroche, il cesse de s'égarer et je débite, je débite, je débite.

    -Tu peux pas ma laisser maintenant !! Maintenant que je touche mon rêve du doigt, que je te fais confiance, que je...!

    La surprise me coupe le souffle.

    C'est ce que je lis dans son regard qui fige.

    Cette seconde d'hésitation, ce souffle qui caresse ma peau, cette étincelle dans ses yeux, mon ventre qui se sent devenir léger...

    S'arrêtera-t-il avant ?

     

    Maéli.

     

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