• Le feu sacré

    Tu es venu frapper à ma porte hier soir.

    Doucement, les lucioles s’éveillaient et l’encre imbibait la toile du ciel. En ouvrant la porte, j’avais frissonné. A cette heure-là, il faisait frais le soir.

    Tu as levé les yeux vers moi, et on voyait que le vent soufflait bien plus fort dans tes prunelles qu’au dehors. Est-ce que je peux rentrer ?

    Le feu crépitait dans l’âtre.

    J’ai dégagé le passage afin que tu puisses entrer.

    Tu as retiré tes bottes, vidé tes poches –ton couteau suisse, ton paquet de cigarettes, tout y est passé. Ça voulait dire drapeau blanc.

    Tu tremblais mais tu m’as dit que tout allait bien.

    J’ai rajouté du bois dans la cheminée. L’odeur du feu et du bois brûlé emplissait la pièce d’une senteur familière et réconfortante. J’ai inspiré un bon coup, j’en avais fini de me battre.

    Je me suis retournée et tu étais encore là, debout, enveloppé dans une couverture et le monde paraissait tanguer, des fondations s’étaient écroulées. Un nuage de poussière dansait sur tes habits. Une petite mésange s’est égarée dans mon salon, mon cœur s’est serré. J’avais l’habitude de réparer des ailes brisées.

    Ce n’était pas une bonne idée.

    Tu cherchais une comptine de ton enfance, un peu de douceur ; une mélodie qui t’aiderait à trouver le sommeil. Ton cœur avait pris un mur. Tes paupières refusaient de se fermer.

    Je savais où trouver Morphée ; n’est-ce pas ?

    Je t’ai dit : allons sur le toit. Je t’ai montré le chemin et tu es monté. J’ai tardé un peu à venir, je voulais prendre des vêtements chauds et un peu de musique. C’était étrange de ne plus avoir peur d’être avec toi ; de ne plus fuir ni attaquer ni se défendre.

    Cesser de se débattre contre soi-même ça faisait du bien.

    Quand j’ai atteint le haut des marches et que je me tenais debout, sous les étoiles, j’ai mis les mains sur les hanches, exaspéré. Je voyais clair, la pleine Lune abreuvait la nuit de lumière et se reflétait sur mon toit.

    J’ai voulu te dire je ne suis pas ta maman, tu sais ? mais je n’ai pas voulu aggraver la situation.

    Ton visage était noyé dans un nuage de fumée. Ta voix s’est brisée, un peu, quand même, en me disant que tu avais fini par arrêté, que c’était la première depuis si longtemps.

    Je croyais que tu avais laissé tes cigarettes dans l’entrée.

    Ta douleur disait : des trains déraillent tous les jours. Mais tout va bien.

    L’indignation a pris le pas devant ton attitude –on aurait dit que tu me provoquais, à fumer sous mon nez, et à me dire à mots couverts, je baisse les bras, se battre ça sert à rien. Je t’aurais bien crié menteur, sinon tu ne serais pas là !

    Mais je n’ai rien dit de tout ça. Je n’ai fait que te rappeler ce qu’il y avait écrit sur tous les paquets de cigarettes, et puis que j’avais horreur de cette odeur.

    Je savais que nous étions comme deux inconnus qui se connaissent déjà et qui s’apprivoisent par bras de fer et par mains tendues quand l’un s’affaisse.

    Le vent soufflait tendrement, cette nuit. Il me disait merci d’avoir ouvert la porte. Toi aussi, je crois, parce que tu as pris ta cigarette d’entre tes lèvres, tu l’as écrasée sur le rebord de mon toit et tu l’as posée, dans le recoin.

    Tu ne voulais pas parler de ton chagrin. Alors, j’ai regardé la nuit, attendant que tu reprennes la parole.

    Les étoiles scintillaient, là haut. Elles semblaient sourire, disséminées dans l’obscurité donne-moi ton fardeau, je te ramènerai chez toi, chuchotaient-elles.

    Ton regard était perdu dans le vague. Le mien voyait l’herbe onduler en bas, les feuilles des arbres frissonner au loin. Parfois, une lumière traversait l’obscurité sur une route lointaine. Les fleurs sommeillaient doucement en attendant la fraîcheur de la rosée et la chaleur du soleil…

    Mon cœur dérivait, rempli de mille trésors et nous parlâmes à bâtons rompus.

    Mes mots brûlaient de te ramener à la vie et tu paraissais n’attendre que ça. J’aurais voulu t’ouvrir les yeux à ce que je percevais dans la noirceur de la nuit. Tu voulais que je te secoue comme un prunier et que je te dise de brûler tes chaines avant que ton monde intérieur ne te consume, n’est-ce pas ?

    La lanterne que j’avais amenée avec moi vacillait sur sous les soupirs du vent et tu la fixais, fasciné. On aurait dit que tu cherchais à saisir un peu de sa chaleur et de son côté sauvage.

    Parce que tu n’étais pas venu pour que je recouse tes ailes, mais bien parce que tu cherchais à rallumer le feu sacré, n’est-ce pas ?

    Maéli

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