• "Mercury"

     

    Le vent soufflait. Glacial.

    Le froid s’immisçait jusque dans mes os.

    Ne pas rester immobile.

     La règle qu’on ne doit jamais oublier en hiver, quand on est un gosse de nulle part. Une règle qui vous colle à la peau, gravée à coup de la perte d’êtres chers, jusque dans ma chair. Ça s’appelle survivre.

    Zita était brûlante de fièvre, ce matin. Le brouillard s’est fait dans mon regard. La peur commence toujours par vous tirer par les pieds, et vous emmène dans ces recoins auxquels vous ne pouvez échapper. Actuellement mes pensées.

    -Hé, Astaragh, t’es avec nous  ?

    Oskar m’a ramené au présent. J’ai fait comme si de rien n’était.

    -On peut pas attaquer maintenant. Tu vois bien que certains ne peuvent pas bouger du campement. On ne peut pas se séparer. Et sans Salmia, ce serait un massacre ; c’est notre meilleure archer. Désolé, les gars. Mauvaise idée.

    Alexander s’est levé, complètement furax. Il a tapé du poing sur la table en bois. Il sait que j’essaie de la protéger. Et ça me broie les entrailles d’y songer, mais il ne compte pas me faciliter la tâche.

    Zita frissonnait de manière incontrôlable ce matin. Même enfouie sous ma peau d’ours.

    -On ne peut pas attendre éternellement, Astaragh. Son regard s’est planté dans le mien, électrique, tu le sais très bien. Soit nous laissons le froid nous achever, tout en prenant le risque de mourir de faim ; qui a vu quelque chose de vivant dans les bois au cours de ces trois dernières semaines ?

    Les deux mains sur la table, il a balayé l’assistance du regard. Il les tient, leur esprit s’agite ; et dans mon estomac, comme des bouts de verre, c’est la peur qui se heurte aux parois de mon ventre.

    L’état de Zita s’est aggravé hier ; et si par malheur, il fallait déplacer le campement, elle ne tiendrait pas le coup.

    Le silence d’Alexander a fini de les convaincre. Nous savons tous qu’il a raison, après tout. Mais actuellement, je veux juste boxer la raison à m’en saigner les poings.

    -Soit, on prend d’assaut cette tour. Mais on ne peut pas rester sans rien faire et attendre la mort comme des lâches. On a survécu jusque là, on peut le faire.

    Ils se sont levés, un par un, hochant la tête, se donnant des coups poing amicaux pour montrer leur approbation ; ils le suivront. 

    Comme embrumées, me sont revenues avec violence les paroles de Zita ce matin. Il y a comme une vitre entre le monde extérieur et moi, ces instants résonnent, encore et encore, sous mon crâne. Je croyais qu’elle dormait encore. Elle délirait, elle babillait à propos de souvenirs, de bulles, de soleil.

    Sous mon crâne s’entrechoquaient les souvenirs ; le jour où je l’ai trouvée dans ce village qui avait brûlé, recroquevillée, toute effrayée contre un mur. Nos rires en été, son premier arc, ses dessins, à la cendre sur le sol ; sa manière de danser autour du feu et de crier « Astaragh est amoureux de la fille qui court aussi vite que le vent » pour me mettre en rogne, son incapacité à ne pas faire brûler la nourriture.

    Et ce serment que je lui ai fait quand je l’ai trouvée, au milieu des flammes ; je ne te veux pas de mal. Viens et je te protégerai au péril de ma vie, petit furet.

    Petit furet. C’est comme ça que je l’ai appelée depuis le jour où je l’ai surprise à voler des pommes dans la réserve du campement.

    Petit furet m’a attrapé par le poignet avec fermeté ; à cet instant où je m’apprêtai à quitter mon chevet. Alors que je la croyais inconsciente. L’espoir a afflué dans mes veines.

    « Promets-moi de les suivre s’ils partent. Promets-moi de me laisser là.

    -Jamais. Tu m’entends, Zita, jamais ?

    La colère.

    -Astaragh, tu ne comprends pas, j’aurais dû mourir il y a dix ans. Tu m’as donné un sursis. La mort s’impatiente, elle réclame son dû. Tu ne comprends pas, cette vie ne m’appartient pas.

    Elle avait ouvert ses yeux, et je pouvais la voir perdre ses moyens, se raccrocher à moi. Je sentais la moiteur de ses mains. Elle allait de nouveau perdre connaissance.

    -Astaragh, je peux pas nous laisser mourir tous les deux parce que j’ai stupidement joué dans la neige. Tu as risqué ta vie en me ramenant au campement. C’est mon tour. Je ne bougerai pas, promis.

    Elle a eu un pauvre sourire. J’ai préféré ne pas le lire.

    J’ai inspiré un bon coup. Après tout, ce n’est pas si mal de mentir à quelqu’un pour le protéger ?

    -Si tu promets de tout faire pour survivre, je promets. Bats-toi, Zita, je t’en prie.

    Un murmure s’est échappé de ses lèvres.

    -Marché conclu. Ne t’avise pas de me mentir autrement

    Elle était de nouveau partie.

    Un regard m’a scindé en deux pour me ramener à l’instant. Alexander.

    -On fait ce qu’on a toujours fait, Astaragh. L’hiver ne fait pas de quartiers. On laisse les autres derrière.

    Je crois qu’un éclair est tombé du ciel et m’a foudroyé.

    Il n’aurait pas dû me laisser vivant.

     

     

    J’ai jeté un énième regard inquiet vers la tente, où dormait Zita ; passerait-elle l’hiver ?

     

    Maéli

    Ceci est un texte pour le concours de Naeri ()

    L'image est issue de son blog. C'était ce qui était censé faire naître l'histoire.

    Voilàààà


    6 commentaires
  • "If I loose myself tonight", Sense8

     

    De beaucoup disent que ces choses-là arrivent par hasard.

    Le regard dans le vide, j'ai soufflé sur la fumée de mon café ; puis j'ai posé la tasse contre ma joue, jusqu'à ce que la chaleur me brûle, jusqu'à ce que mon cœur ait un peu plus chaud.

    J'ai croisé mes jambes sous la table, j'ai cogné dans le pied ; alors j'ai grimacé. Les pensées se sont entrechoquées, sous mon crâne ; comme les verres ont carillonné sous le choc.

    -Marion ? Mariiiion ?

    J'ai papillonné des yeux ; revenir dans mon corps, dans ce présent, m'a demandé un effort. J'ai regardé Anna, agacée, tapoter le bout de sa cigarette pour en faire tomber la cendre sur le sol.

    -Chérie, il t'arrive quoi, là ?

    J'ai dégluti. J'aurais aimé me noyer de nouveau dans mes pensées dans mes "et si...", dans mes "cela aurait pu nous arriver à nous aussi" ; j'aurais aimé ne pas avoir à formulé ce qui m'arrivait réellement.

    Je me suis raclé la gorge ; j'ai regardé ma tasse, sur la table, mes prunelles ont glissé. J'ai posé mon regard sur la plante verte, là-bas, au travers de la fenêtre.

    -C'est la gare, Anna... En plein Paris, comme ça, ça me rend dingue. Il pourrait être là. Il pourrait s'asseoir sur la chaise à côté de nous, prendre un café en attendant quelqu'un, ou alors, aller prendre un de ces cafés qu'il aime, juste en face ; avant de rentrer à la maison.

    La voix cassante d'Anna m'a attrapée par la peau du cou pour me ramener sur terre. Je ne lui ai pas accordé un regard ; le laissant se balader sur tous ces parisiens qui courent dans tous les sens. Chaque fois que je suis dans un rayon de moins de cent kilomètres, je m'attends à le croiser. 

    Chaque fois.

    -Ou il pourrait ne pas être là, Marion. Il pourrait ne pas te reconnaître, il pourrait être marié, le lâche.

    Peut-être qu'il a bien mérité les insultes d'Anna. Peut-être.

    Sa colère a réveillé des blessures jamais refermé. Il y a eu du mouvement dans mes entrailles. J'aurais bien aimé me boucher les oreilles pour faire taire ce vacarme en moi.

    Mais rien à faire. Le courant de mes pensées a balayé le rivage, m'embarquant au passage.

    -Arrête-ça Marion, tout de suite. On part en vacances, là. Il te mérite pas ce mec, skip skip, par pitié ! J'en peux plus de te voir bousillée comme ça. Le jour où il est officiellement casé, je fais comment moi ? J'en peux plus de te voir réduite à un torchon, un yo-yo ce que tu veux, si tu continues, Marion, je vais lui casser la gueule.

    J'ai reçu un coup de poing en pleine face.

    Là, mon cœur s'est mis à battre. Ça faisait trop longtemps qu'il ne s'était pas emballé comme ça ; j'étais vivante. Je n'ai pas réfléchi. Je n'ai pas réfléchi je n'ai pas réfléchi je suis devenu un boulet de canon ; j'ai failli renverser la table.

    Anna m'a attrapée par le poignet alors que je la dépassais. J'ai eu un accès de panique. Je ne peux pas le laisser filer.

    -Il t'arrive quoi, au juste ?

    Puis, elle a suivi mon regard, elle s'est figée ; elle l'a vu, debout devant cette plante verte, là-bas, près du panneau d'affichage. L'étau de ses doigts s'est desserré. Je n'ai pas réfléchi je n'ai pas réfléchi ; j'ai foncé.

    Je n'ai pas eu le temps de lui dire ce que j'en pensais de tout ça.

    J'étais trois ans en arrière, de nouveau à la croisée des chemins. Sauf que cette fois, j'étais prête ; je savais quoi dire.

     

    Maéli

    Pour le concouuuurs de Louuuu 


    5 commentaires
  • L'ampoule grésille.

    Je la fixe.

    Un papillon dans la nuit, un papillon dans le rayon du lampadaire ; un papillon noir posé sur une feuille blanche.

    Je la fixe.

    Je cligne des yeux, retour au moment présent.

    Le vent qui souffle dans l'herbe, deux éclats de rire.

    Comme un souvenir lointain ; inatteignable.

    L'ampoule clignote. Il fait noir, je devrais peut-être rentrer, au lieu d'attendre que tu viennes, il fait noir et les ténèbres sont tout ce qui m'attendent si la lumière s'éteint. Ça fait des jours que j'attends.

    Je prends racine pendant qu'on abat l'espoir dans mon coeur.

    A la tronçonneuse, à la hache, avec cette acharnement qui vire à l'obsession. Coup par coup.

    Ça fait longtemps que j'attends sous la pluie. Si longtemps que je ne sens plus l'eau. Il fait frais. Mais j'en oublie les courants d'air dans mon coeur.

    Je serre assez fort mon sac contre moi pour que la douleur passe en arrière plan, comme une tapisserie moche qu'on aurait oublié avec le temps, on s'y habitue. Je presse mon sac contre ma poitrine en espérant ne pas voir le sang qui tache mon chemisier.

    Je tremble de froid, ça fait des jours que je t'attends, sous le lampadaire de la 7ème rue et tu n'es toujours pas venue.

     

    Maéli


    votre commentaire
  •  

    Encore une journée de boulot harassante, rooh faut absolument que je finisse ce truc.

    18h30.

    Tant pis, je serais en retard.

    Une tasse de café. Avec tout ce que j’ai avalé, j’ai de quoi tenir soixante-douze heures ; pas ma faute, je suis stressée, je ne tiens pas l’angoisse, je suis à court d’idées et il est hors de question que je me fasse engueuler.

    Une poussée d’adrénaline quand cette sensation amère passe dans ma gorge, je vais y arriver.

    Il le faut bien. Je ricane, tourne sur mon siège à la recherche d’un stylo parce que celui-là ne fonctionne pas, et je pense que mon-Dieu, je suis encore à la bourre !

    Les flocons tombent dehors et recouvrent la ville, mais je n’ai pas le temps pour un regard, je ne dois pas me dis-per-ser !

    Un coup d’œil à la pendule, et y a plus de pendule, pas le temps de vérifier, c’est la fatigue, bon, alors cette pub, comment choisir les acteurs ?

    Il en faut, un deux, trois quatre, un grand sourire, pas un cheveu qui dépasse ; rah, ça m’embête qu’il n’y ait pas l’heure dans ce foutu bureau !

    Comment vont faire les enfants, d’ailleurs ? Revenir à l’es-sen-tiel ! Leur pondre un truc magique, la veille pour le lendemain, à présenter à la réunion, obtenir un petit sourire du chef qui me dit que je maîtrise la situation –tout à fait, je maîtrise la situation- et puis une fois qu’on aura le fil directeur, la pression retombera, et je pourrai souffler.

    Sensation que le bureau bouge, il faudrait peut être que je pense à manger plus, ce n’est pas bon pour la santé ; froncement de sourcils, le bureau était pas vert tout à l’heure ?

    Ok, ok ok je me recentre, une gorgée de café, je ferme les yeux, je les rouvre et la solution sera tombée du ciel ; j’assure, j’as-su-re, je me murmure !

    Je me penche vers mon boulot, tiens, j’étais pourtant persuadée d’avoir écrit des trucs, ‘fin, au moins griffonné, si c’était rien de concluant, change de stylo parce que celui-ci ne fonctionne plus, et me replonge dans mon boulot.

    Alors, quelle ambiance, quel décor, à quoi ressemblent les pubs en ce moment ; comment rester dans le vent et in-no-ver ?

    J’en ai marre, je secoue la tête, mes pensées pèsent trop lourd, ma longue journée aussi, il me faut une tasse de café, avant que j’explose !

    J’essaye de tourner sur mes roulettes, pour prendre l’air, me détendre, et -surtout – prendre l’agrafeuse derrière moi, histoire de je ne sais pas, pouvoir agrafer mes feuilles, une fois que j’aurais trouvé une idée.

    Et je me casse littéralement la gueule.

    Ok, j’ai compris, je me casse d’ici.

    Et la tête de mon patron si je me ramène demain sans rien me dissuade plutôt violemment de mettre mes menaces à exécution. Je me rassois sur mon tabouret, et j’essaye de lire ce que j’ai écrit. Ah oui, j’ai rien écrit.

    Je sais pas si je dois rire ou pleurer ; mais par contre, je pense que ce soir, je ne serais plus qu’une serpillière…

    J’entends Lili m’appeler, de derrière la porte et je lui dis que maman arrive bientôt, il faut que je finisse ce truc, c’est pas sorcier !

    Des semaines que je fous rien, et for-cé-ment, le jour où j’ai besoin de ces idées, elles ne viennent pas ! Nan mais ce n’est pas ma faute, j’vous dis…

    Je griffonne quelques mots sur la position de la caméra, ce que les acteurs vont faire, l’esprit du truc, un mini scénario et je relève la tête et crie :

    « Chéri ! »

    Je crois qu’avec la fatigue, j’ai un peu tout lâché parce que d’un coup, comme ça, mon mari est entré dans la pièce et ma tête est tombée sur le bureau ; j’y ai peut-être fait un trou, d’ailleurs, mais bon, peu importe.

    J’allais gueuler un bon coup, parce que je suis perdue, mais qu’est-ce qu’il fait à mon travail, quand il m’a secouée comme un prunier, et que je me suis réveillée.

    C'est l'heure de manger, on est sur le ferry, on débarque dans une demie-heure ; et c'est mon premier jour de vacances.

     

     

    Maéli.


    votre commentaire
  •  

    C’est quand elle a fait le premier pas dans la classe que mon monde a implosé.

    Tout remonte à ce jour-là.

    Les souvenirs reviennent, comme les embruns ; avec un arrière goût salé, et cette senteur d’aventure qui s’est pointée dans ma classe, au moment même où elle a posé le regard sur notre univers.

    Elle sentait la mer, on voyait l’écume affluer et refluer dans ses prunelles, et ce matin-là, le rouleau des vagues m’a recraché sur le rivage.

    Les cours de maths du lundi matin c’est toujours l’horreur, et y avait jamais eu d’exception.

    Elle a ouvert la porte, s’est présentée, s’est assise, et plus rien d’autre dans mon cerveau n’a circulé que cette information, en continu « ce n’est pas un coup de foudre ce n’est pas un coup de foudre ce n’est pas un coup de foudre ».

    Je suis devenu complètement dingue après ce jour-là.

    Mes journées ont fini par ressembler à un parc d’attractions, grand huit, du matin au soir, bonheur, enfer, paradis, déception, je jouais aux cartes et j’avais jamais la main.

    Et c’est là que j’ai commencé à me balader partout avec ma guitare.

    Le soir, je m’asseyais, sous le porche, et je jouais des airs à ma mère, en espérant que le vent les lui porterait, je grattais mes cordes en me disant qu’un jour peut-être la nouvelle de la classe les entendrait, et qu’un jour, peut-être, j’arriverais à faire quelque chose de bien de ma vie.

    Dans le noir de ces soirs, je murmurais à maman que papa pleurait le soir, que je m’en sortais pas sans elle, que j’avais eu 4 en physique, et que j’aurais bien aimé qu’elle soit là pour m’engueuler.

    Des bruits de talons ont résonné dans ma ruelle, et mon cœur a dégringolé les escaliers, à l’instant où je l’ai vu sous le réverbère, cette nuit-là. Je n’ai jamais su ce qu’elle attendait, dans le froid de l’hiver, sous un réverbère qui clignote et qui stationne depuis des années, sous la fenêtre de ma chambre.

    Le sang battait dans mes tempes, et la seule chose dont j’arrivais à me souvenir, c’était que j’étais en vie et que maman n’était peut-être pas si loin…

    Alors j’ai continué à jouer, au clair de lune, et sa voix s’est élevée, et  comme un voile a déboutonné le manteau de la nuit ; les étoiles en sont tombées, unes à unes.

    Mon cœur aussi, d’ailleurs, s’est écrasé, à mes pieds et brisé en des milliers d’éclats de Lune.

    Quand sa voix s’est tue, j’étais assis à côté d’elle, derrière la barrière, sous la lumière de ce réverbère, qui clignote, à lui murmurer : chante.

    On est restés jusqu’à l’aube où j’ai vu sa voix décolorer l’horizon, et j’ai su qu’il fallait que cet instant ne s’arrête jamais.

     

    Et doucement, ma voix est descendue, comme une chandelle qui s’éteint, comme la nuit recouvre la terre de son manteau et se pose jusque sur le bout de mon nez.

    Il est peut-être temps de cesser de rêver, peut-être temps d’aller se coucher.

     

    Alors je prends mes cahiers, ma guitare, la tête dans les étoiles ; peut-être qu’un jour l’une d’entre elle réalisera cette chanson.

     

    Maéli.

    PS : c'est la nouvelle que j'ai proposé lors de La Matinale des Lycéens ;)


    votre commentaire
  •  

    J’ai mis un pied dehors. Le froid s’est engouffré dans la pièce.

    Et la peur.

    La nuit est tombée depuis des heures, avec son silence, ses dangers et son picotement qui me réveille. Cinq minutes de marche, ok ?

    J’ai pris une grande inspiration et je me suis élancée. Trois si je vais vite.

    J’ai entendu mes pieds battre le goudron et j’ai été heureuse de ce bruit régulier, pour cacher tous les autres qui auraient pu m’effrayer, pour focaliser mon attention.

    Je devine les quartiers que je traverse, je les visualise sur ma carte mentale, ça va aller, je me rassure mais ça ne sert à rien, mon cœur bat vite, trop vite et m’arrêter ça ne fera que me paniquer.

    Je dois rentrer chez moi, c’est tout.

    Je dépasse les poubelles, les poteaux des lampadaires, les buissons, les volets fermés, je commence la poursuite avec la peur, je marche si vite que j’entends l’air qui bruisse autour de moi. Le temps s’étire s’étire s’étire et la distance entre ces deux lampadaires est plus longue, j’en suis sûre.

    J’ai toujours eu peur du noir.

    C’est compulsif, ça me fait paniquer et il fait nuit ce soir, on approche les deux heures du mat’, nuit noire et papa ne m’attend plus à cette heure-là, et qui s’inquiétera ?

    Alors je me fixe sur des pensées qu’en d’autres temps j’aurais chassées, mon devoir de maths lundi et puis mon tour de lave-vaisselle, tout et n’importe quoi, tout qui pourra me ramener sur terre, m’empêcher de pester contre Lisa qui m’a retenue parce qu’elle voulait pas que je la laisse seule avec les autres et moi aussi, parce que j’ai pas eu la bonne idée d’insister pour rester dormir parce que j’habite à cinq minutes, hein, je suis pas prioritaire, après tout.

    Et, d’un coup, comme pour me ramener à tout ce que je m’efforce d’oublier les lampadaires se sont éteints.

    Une voiture est passée au loin et j’ai respiré, il ne fait pas si noir ; dans deux rues j’y suis, je me suis promis. Deux rues c’est rien, hein ?

    Mes talons battent le bitume mais ça ne suffit plus à me rassurer, non, ça ne suffit plus parce que cette fois, j’ai aussi peur de me perdre, peur de tomber, peur d’oublier comment respirer.

    Mon portable a plus de batterie et je suis là, dans le noir à marteler le sol de cette nuit obscure et tous mes cauchemars me reviennent en mémoire. Rien à faire, la sueur commence à couler, et je n’entends plus que le bruit de ma respiration qui est partie au galop, des chevaux emballés qui ont embarqué mon calme avec eux et m’empêchent de saisir d’autres bruits.

    J’ai sorti mon portable de ma poche, pour vérifier, encore une fois s’il pouvait pas au moins me servir de lampe de poche, me laisser me dire qu’au cas où, je pouvais toujours appeler quelqu’un, au secours. Ça m’apprendra à rien dire et surtout à personne où je vais, à juste crier « je sors » en partant et rentrer sur la pointe des pieds, au milieu de la nuit.

    J’en ai tellement tremblé d’espoir et de panique que je l’ai fait tomber, je me suis baisser précipitamment, j’ai cru que j’allais en pleurer, ou que je n’allais pas réussir à me relever.

     J’ai peur du noir, j’ai voulu crier maman, mais personne n’est là, le monde dort et les buissons entourent le chemin, et n’importe quoi pourrait en surgir, pour m’emmener, loin ou près, peu importe, là où on aura du mal à me retrouver…

    Un craquement et j’ai cru que mon cœur allait s’arrêter.

    J’ai traqué chaque mouvement et je me suis juré de dire à mes parents où j’allais, de même leur demander de venir me chercher, que j’allais leur faire partager plus de trucs, sur ce que je fais, sans devenir parano et croire qu’ils jouent à l’Inquisition ; ça me protègera au moins de cet instant.

    Mon cœur bat, et d’un coup, je ne perçois plus que ça.

    Et le silence de la nuit qui s’est endormie sur mes épaules.

    Je détale, parce que j’ai si peur et que tomber c’est rien à côté de la nuit qui m’encercle qui se rapproche et qui est partout, autour de moi, et cette peur oppressante, comme une boule qui ne me quittera pas tant que je n’aurais pas franchi la porte de chez moi.

    J’ai failli trébucher sur une pierre et j’ai reconnu notre boîte à lettres que maman a décidé de repeindre en rouge, l’été dernier, et jamais je n’ai été aussi contente et soulagée de la voir.

    Et, d’un coup, je me suis prise dans quelque chose qui m’a retenue, qui m’a griffée, et j’ai tenté de ravaler mes larmes, j’ai tiré, mais ça veux pas me lâcher et je n’ai plus de voix, j’ai froid et j’ai peur de me retourner ; et j’ai fini par le faire.

    Je me suis prise dans les ronces du voisin.

    J’ai fait les dernier mètres toute tremblante, tourné la clé dans la serrure, me suis affalée dans l’entrée, et je me suis promis d’y penser, que j’avais peur du noir, et que ça nous rattrape toujours les peurs, la prochaine fois que je sortirais le soir.

    En attendant, demain, je vais aller lui tailler ses ronces à ce voisin.

     

     

    Maéli.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique